La famille Le Lous a réalisé l’acquisition du Château Cantenac Brown en décembre 2019. Nous vous proposons de revenir sur les grandes étapes du parcours de Tristan Le Lous, sur son amour pour le vin et pour la région de Bordeaux. L’acquisition du Château est un rêve d’enfant devenu réalité pour Tristan et sa famille qui mettent désormais toute leur énergie au service de ce grand cru classé en 1855 à Margaux.
Est-ce que tu peux commencer par te présenter ?
Oui bien sûr. Je suis donc Tristan Le Lous, et je suis animé par une passion pour le vin depuis de nombreuses années. Je pense que cela me vient d’une transmission familiale, une forme d’héritage culturel et gastronomique que je dois à mon père et à mon grand-père. Nous avons eu la chance de pouvoir acheter avec ma famille un grand cru classé à Margaux, Cantenac Brown.
Est-ce que tu peux nous parler un peu plus de cette passion pour le vin ?
Ma famille plonge ses racines en Bretagne, dans le Trégor. Enfant, mon grand-père ne parlait que le breton. Très vite, son instituteur décela chez ce garçon des capacités hors normes et le poussa à faire des études secondaires. Il deviendra pharmacien dans l’armée avant de reprendre une droguerie médicinale en Bourgogne, à Dijon plus exactement. C’est au départ une simple droguerie et mon grand-père a été soutenu par de nombreux vignerons de la région qui ont mis des billes dans son aventure. Côtoyant ces vignerons, il avait naturellement de belles bouteilles dans sa cave, c’est comme cela que je fus initié aux vins.
Depuis que tu es enfant, ce sont des choses que tu vois ?
Au départ, j’ai eu une belle vision du vignoble de Bourgogne. On buvait la cave de mon grand-père, même assez jeune. À 12 ans, 13 ans, 14 ans, on buvait déjà un peu de vin à l’époque et, surtout, on en parlait. On passait beaucoup de temps à table à parler du vin qu’on buvait.
Est-ce que c’est le vin qui t’a donné envie de faire des études d’agronomie ?
Non, je ne pense pas. Traditionnellement, dans la famille, il fallait faire un cursus scientifique complété par un cursus commercial. Ce que j’ai fait : Normale Sup à Lyon en génétique moléculaire puis effectivement AgroParisTech, et finalement l’ESCP avec une majeure finance. Finalement, toutes les facettes de cette formation pluridisciplinaire me sont utiles aujourd’hui.
Comment se passe le début de ta carrière professionnelle ?
Sans aucun rapport avec le vin ! Mon père m’a tout de suite proposé de venir le rejoindre avec mon frère et je suis tout de suite intégré dans notre entreprise qui est l’héritage que nous a laissé mon grand père. Je suis responsable de la finance dans ce groupe, qui s’appelle URGO. Jusqu’en 2019 ma carrière professionnelle n’avait donc rien en commun avec le monde du vin, il était tant de combler ce manque !
Comment vient ta connaissance de Bordeaux ?
Elle arrive assez tardivement puisque cela coïncide avec la rencontre de ma femme qui faisait ses études à l’Ecole de la Magistrature à Bordeaux. Je venais la voir le week-end et c’est ainsi que j’ai pu découvrir cette ville, ses vins et la région. Lorsque je venais lui rendre visite, nous prenions une voiture pour aller dans le vignoble. Cela m’a immédiatement plu et de manière très forte. J’ai noué un attachement très fort avec cette région et avec ses vins et je conserve de cette époque de merveilleux souvenirs.
Comment la décision a été prise d’aller chercher un domaine viticole à acheter ?
C’est un projet de très long terme. Initier une aventure de cette nature nous a pris 7 ou 8 ans. Tout d’abord, j’ai fais cette proposition à mes deux frères et à mon père et proposé Bordeaux par l’affinité que j’avais avec cette région. Ensuite, j’ai commencé par rendre visite à différents gérants de propriété à Bordeaux pour essayer de comprendre comme ça se passe. J’ai rencontré José Sanfins à Cantenac Brown avec qui j’ai passé quelques heures. La propriété m’a plu, le contact avec José m’a plu. Pendant plusieurs années, j’ai continué à faire quelques visites et quelques rencontres et à garder un œil sur le marché si jamais une propriété était en vente afin qu’on pense à nous contacter.
Ça a pris du temps puisqu’il y a assez peu de propriété à la vente de cette nature. L’opportunité s’est présentée quand on nous a appelé pour nous dire qu’il était probable que Cantenac Brown soit en vente. À ce moment-là, on s’est tout de suite positionné.
Comment ça se passe quand on achète un domaine viticole ? Que faut-il regarder ?
Ce qui est fondamental, c’est l’étude des terroirs. On s’est beaucoup concentré là-dessus et on a contacté des consultants spécialisés pour faire une étude parcelle par parcelle. Il s’agit d’analyses assez approfondies et absolument fondamentales. Le terroir est invariable et il sera toujours ancré dans la propriété. S’il faut consacrer du temps et de l’argent, c’est avant tout dans l’étude des parcelles qu’il faut le faire.
Ensuite, ce qui a été fondamental, c’est le contact avec José. Sans un gérant de très grande qualité, le projet va être difficile. On peut toujours aller chercher un gérant extérieur mais au final l’équipe et la personne qui la gère est le deuxième élément fondamental.
Le troisième élément, c’est l’analyse du marché. Ce qui est intéressant avec Cantenac Brown c’est qu’il est noté par de nombreux critiques en France comme aux États-Unis et en Chine. De manière assez constante ces quinze dernières années, les notes se sont améliorées. Cela consacre le travail que José a pu faire pour le faire progresser. Le vin, sa qualité et sa perception par les critiques sur le marché sont très importants. Pour finir, il y a l’analyse de la marque. Cantenac Brown est une marque forte car c’est un troisième grand cru de 1855 à Margaux. En revanche, elle n’a pas été suffisamment mise en avant ces dernières années par son ancien propriétaire.
Tu avais déjà une relation de proximité avec José mais c’est quoi ton premier jour à Cantenac Brown ?
Je m’en souviendrai toute ma vie. Quand on réalise un investissement de cette nature, ça ne peut pas être un hobby. Comme c’est quelque chose d’important, ça génère une forme d’émotion : c’est nouveau, c’est excitant et, en même temps, c’est important de réussir. Je me souviens donc de la première matinée où je suis arrivé à Cantenac Brown avec ces émotions mélangées en tête. J’arrive à Margaux en voiture et je vois une mer de vignes. Je vois ensuite apparaitre au fond ce château remarquable qui émerge. C’était un matin où il y avait le voile de la mariée : cette petite brume qui apparait quand il fait un peu froid dans la nuit. C’est vraiment une vision dont je me souviendrai toujours.
Le Château est ouvert aux visites ?
On a une personne qui s’occupe à plein temps des visites et de l’œnotourisme. Maeva fait un travail d’une grande qualité et nous souhaitons augmenter encore le nombre de visiteurs. Margaux est proche de Bordeaux ce qui est évidemment un atout dans la région. En plus du château, nous avons un très grand parc qui comprend une collection d’arbres rares. C’est un potentiel extraordinaire pour faire découvrir notre domaine.
Comment est-ce que tu as été accueilli à Margaux ?
On m’avait mis en garde : « Bordeaux est un milieu assez fermé, il y a de nombreuses familles qui sont là depuis longtemps… ». En réalité j’ai été remarquablement accueilli. Notre projet à de nombreux atouts qui séduisent à Bordeaux : le projet est incarné par une personne et la transaction est réalisée par une famille. Je ne connais pas encore tous mes voisins mais je suis allé déjeuner à quelques restaurants autour du château pour rencontrer du monde. José m’avait indiqué les habitudes de certains propriétaires ou gérants. À chaque fois, on prenait une bouteille de Cantenac Brown avec nous pour offrir une bouteille à la table d’à côté.
Quelles sont les premières actions que tu as entrepris à Cantenac Brown ?
On a lancé beaucoup de projets en parallèle. Le premier projet est d’initier la construction d’un nouveau chai et d’un nouveau cuvier. L’idée est d’aller encore plus loin dans la progression qualitative du vin. Pour y arriver, il nous fallait un nouvel outil pour avoir gagner encore en précision dans l’assemblage. J’ai voulu inscrire ce projet dans une démarche éco-responsable. Nous allons réaliser ce nouveau chai avec une construction en terre crue et en bois brut uniquement sourcés en Aquitaine. J’ai choisis Philippe Madec qui est un architecte mondialement connu et pionnier de l’éco-responsabilité. L’objectif est d’utiliser ce nouvel outil pour les vendanges de 2023.
Ce chai en terre crue, c’est quelque chose que tu avais en tête dès le début ou ça s’est imposé par la vision que tu portes ?
Je l’avais en tête dès le départ et je visualisais un projet comme celui ci avant même que nous soyons propriétaires du château. C’est la raison pour laquelle nous sommes allés assez vite. Il y a peu d’architectes qui sont capables d’aller aussi loin puisque cette construction se fera sans aucun ciment. Enfin, il y a toute une série de petits détails qui le rendent à la pointe de l’éco-responsabilité. C’est aussi une histoire de rencontres. Philippe Madec va très loin dans les exigences d’éco-responsabilité.
Est-ce que tu peux m’en dire plus sur ta vision de Cantenac Brown dans les années à venir ?
Notre premier objectif c’est de progresser encore dans la qualité des vins et faire en sorte que cette progression soit reconnue auprès de tous les critiques qui comptent sur la place. Il faut donc maintenir l’exigence que José met dans l’exécution de ses vins depuis plus de 10 ans et l’accélérer. Ça veut aussi dire développer notre relation avec les leaders d’opinions qui notent les vins et qui en parlent aux États-Unis, en France et en Chine.
Il y a une démarche commerciale à développer sur notre marque avec ses trois vins : Cantenac Brown, Brio (le second vin) et le vin blanc : Alto.
Quelle est la distribution de Cantenac Brown ?
Elle est assez large. On est vendu pour un tiers aux États Unis, un tiers en Europe et un tiers en Asie mais surtout en Chine. Ensuite, c’est assez équilibré avec la moitié côté cavistes et ensuite la restauration et l’hotellerie. Le vin est bien distribué avec des négociants qui font un grand travail. Il faut donc améliorer la qualité des vins et améliorer la marque en convaincant les leaders d’opinion puisque le marché du vin est un marché de prescription.
La place de Bordeaux est d’une efficacité extraordinaire pour pénétrer de nouveaux marchés car elle vous permet de proposer une gamme de prix cohérente et une logistique efficace quasiment partout dans le monde. C’est la raison pour laquelle Bordeaux a une place de leader car la Place fonctionne extrêmement bien. Il y aura de nouveaux pays qui vont s’ouvrir aux grands vins français. Ce que je vois de mon côté c’est le Japon. On y vend beaucoup de vins blancs et c’est une tendance assez ferme pour Cantenac Brown.
Quelle est ta relation aujourd’hui avec José et avec l’équipe de Cantenac Brown ?
On s’appelle une ou deux fois par jour avec José. C’est donc une relation quotidienne car on a beaucoup de projets en parallèle. Je m’investis beaucoup personnellement avec José auprès de leaders d’opinion dans le monde du vin. Le projet s’inscrit dans la durée puisqu’on verra apparaitre le résultat de nos actions dans 10 ou 15 ans. C’est un défi absolument passionnant.
Comment est-ce que le reste de ta famille, et tes frères en particulier, s’investit dans le projet ?
Mes frères ont une relation émotionnelle puisqu’on y passe des week-end en famille. En revanche, dans notre organisation, chacun gère de manière autonome son périmètre. Ils ne sont donc pas investis au quotidien dans la propriété. On fonctionne très bien ensemble depuis de nombreuses années mais ça demande une discipline parfaite.
Tes frères ou ton père ne t’ont jamais dit « mais tu es sûr de vouloir faire ça » ?
Si. Ce que je leur ai promis c’est d’y consacrer assez de temps, en plus du reste, pour que ce soit un succès. Je tiens cette promesse.
Tu disais que le résultat des efforts d’aujourd’hui ne seront visibles que dans 15 ou 20 ans. Ce n’est pas frustrant ?
Nous sommes habitués aux cycles longs avec nos projets de recherche au sein d’URGO. Par exemple notre de projet de développement d’une peau artificielle ne verra le jour que dans une dizaine d’années au mieux. Pour Cantenac Brown, il y a ce temps long mais il y a aussi des suites de petits succès et de petites victoires qu’on peut avoir.
La Bourgogne ne vous en veut pas de ne pas vous y être implanté ?
Si, un petit peu. Je pense que c’est quelque chose d’admis aujourd’hui mais qui a suscité l’étonnement au début.
Est-ce que tu as une dégustation coup de coeur récente ?
Oui. Un vin que j’apprécie particulièrement c’est le Sauternes. Ce n’est pas forcément très à la mode mais quelques fois par an j’ouvre une bouteille de Sauternes avec une salade de fruits ou un foie gras. Récemment, avec une salade de fruits, c’est un Climens 2000. C’était absolument exceptionnel.
Est-ce que tu as un livre sur le vin à me recommander ?
Ce n’est pas un livre mais une BD : Château Bordeaux. C’est l’histoire d’une américaine dont le père est bordelais et gère un grand cru classé. Son père décède et elle est obligée de rentrer. Elle reprend alors la propriété. On y retrouve de nombreux personnages qui font la vie de Bordeaux.